Le wagon de Rethondes, d’un armistice à l’autre
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En 1918 et 1940, deux conventions de cessation des hostilités étaient signées au même endroit, dans une clairière de l’Oise. Pourquoi deux armistices, dans une voiture de chemin de fer ? Retour sur ces événements historiques majeurs des deux guerres mondiales, aux circonstances très différentes.
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Le wagon de l’Armistice trône aujourd’hui dans un bâtiment de la clairière de Rethondes, dans l’Oise, à une soixantaine de kilomètres au nord de Paris. Ateliers pédagogiques pour écoliers, collégiens ou lycéens, riche musée entièrement rénové en 2018, matériels militaires et nombreux monuments commémoratifs : avec environ 50 000 visiteurs annuels (80 000 l’année du centenaire), cet endroit est un lieu de mémoire majeur, et le deuxième site touristique du département, après le château de Pierrefonds.
Mais cette clairière ne se trouve pas à Rethondes, et le wagon n’est pas celui où ont été paraphés les deux armistices, le 11 novembre 1918 puis le 22 juin 1940. Le Mémorial de l’Armistice est situé sur la commune de Compiègne, dans la forêt du même nom, non loin du village de Rethondes. La voiture ferroviaire originale, elle, a brûlé en 1945.
De fait, beaucoup de questions entourent ces deux signatures historiques. D’abord, pourquoi signer l’armistice de 1918 dans un wagon en pleine forêt et non, par exemple, dans la magnifique salle de bal du château de Compiègne tout proche ? « Le maréchal Foch voulait que ce soit discret et ne surtout pas voir arriver de politiques ou de journalistes », répond le major (ER) Dominique Valembois, secrétaire général du Mémorial de l’Armistice, une association créée en 1950. Généralissime des armées alliées au moment de leur victoire sur l’empire allemand, Ferdinand Foch disposait d’un train de commandement, « sorte de « Air Force One » de l’époque », comme le résume le major.
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LE MARÉCHAL FOCH ENTENDAIT « NE PAS HUMILIER LES ALLEMANDS »
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Selon lui, le commandant en chef avait « une volonté de ne pas humilier les soldats, qui s’étaient bien battus ». Jean-Yves Bonnard, docteur en sciences humaines et professeur de lycée dans l’Oise, note que le général Weygand, aide de camp de Foch qui a lu aux Allemands les conditions de l’armistice, évoque dans ses mémoires ce souci de « ne pas humilier » ces derniers : « Pour le maréchal Foch, ce n’était pas une fête, il connaissait les souffrances vécues par les soldats ». Auteur de « Rethondes, le jour où l’Histoire s’est arrêtée » (Éd. du Trotteur ailé, 2008), le professeur ajoute que « le grand quartier général de Joffre avant 1916 était à Chantilly, sous le regard de la presse internationale. Foch avait un mauvais souvenir de cette présence médiatique beaucoup trop forte. »
Par ailleurs, début novembre 1918, « on était sur l’offensive de la victoire, les lignes de front n’arrêtaient pas de bouger dans les Ardennes, et il fallait pouvoir partir vite en cas de besoin », poursuit Jean-Yves Bonnard, aussi président de l’association Patrimoine de la Grande Guerre. Pour cela, la clairière de Rethondes, proche de la gare du même nom, était idéale : le réseau ferré, utilisé pour du transport d’artillerie lourde, s’y divisait en un épi de quatre voies. De quoi permettre aux délégations d’arriver rapidement, puis de stationner en parallèle le train de Foch et celui des Allemands.
Les négociations ont lieu dans le train français, précisément dans une voiture restaurant de la Compagnie internationale des wagons-lits livrée en 1914. Aboutissement des derniers pourparlers débutés à 2h du matin le 11 novembre, l’armistice est signé entre 5h12 et 5h20. Il n’existe aucune photo de cette signature, et seulement une de la délégation alliée à la sortie du wagon – toujours le souci de discrétion de Foch. « Un cheminot a aussi pris un cliché de loin, façon paparazzi », complète le major Valembois.
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Le 11 novembre vers 5h30 du matin, la délégation alliée sort du wagon après la signature de l’armistice. C’est le seul cliché officiel de cet événement.
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Après-guerre, les conditions du Traité de Versailles de 1919 (perçu en Allemagne comme un « diktat »), la faiblesse de la République de Weimar et le krach boursier de 1929 nourriront l’ascension politique d’un ex-caporal de la Grande Guerre : Adolf Hitler. Vaincue en 1940 après moins de neuf mois de combat, la France se voit imposer par l’Allemagne le lieu de signature de l’armistice : la même clairière de Rethondes.
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ADOLF HITLER VOULAIT « LAVER L’AFFRONT DE 1918 »
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Pour le major Valembois, « c’était un choix de Hitler d’humilier les Français là où les Allemands avaient été humiliés en 1918 ». Le Führer fait les choses en grand : prise d’armes avec micro et haut-parleurs, nombreux journalistes, dont ceux du magazine américain Life qui publie des clichés en couleur… Ses troupes ont sorti le wagon de 1918 du musée où il se trouvait (après avoir longtemps trôné dans la cour des Invalides à Paris) en démolissant un mur et l’ont replacé au même endroit que 22 ans plus tôt.
Le 21 juin 1940, Hitler arrive dans la clairière. « Il a lu une lettre aux délégataires français disant qu’il voulait laver la souillure, l’affront de 1918 », relate Jean-Yves Bonnard. « Pour lui, ce sont d’ailleurs les politiques allemands et non les militaires qui ont perdu la précédente guerre. En 1940, il est dans la gloire absolue de s’être débarrassé aussi vite de l’armée vue comme la plus puissante du monde. »
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Le 21 juin 1940 Adolf Hitler (main au côté) regarde la statue du maréchal Foch avant d’entrer dans le wagon (à droite).
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« On considère qu’il n’est resté qu’une heure », ajoute Dominique Valembois. Le lendemain, le dictateur nazi n’assiste donc pas à la signature de l’armistice. Mais juste après, ses ordres sont respectés à la lettre : le bâtiment du musée est dynamité, les voies retirées, la clairière labourée. Seule la grande statue du maréchal Foch, installée là en 1938, reste en place.
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POURQUOI HITLER A-T-IL ÉPARGNÉ LA STATUE DE FOCH ?
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Cette mansuétude pour la figure du vainqueur de 1918 suscite plusieurs hypothèses. « Soit Hitler respectait les combattants de la Première guerre tels que Foch et Pétain », avance le major Valembois. « Soit, mais c’est peu probable, il voulait que Foch « contemple » la clairière désormais vide. Ou encore, puisqu’il était superstitieux comme l’a dit son biographe officiel, il aurait craint que détruire cette statue lui porte malheur. »
Jean-Yves Bonnard avance une autre explication possible : « Peut-être voulait-il par ce geste garder de bonnes relations avec la France de Pétain ? Dans le traité d’armistice, un article stipule d’ailleurs qu’il ne faut pas détruire les monuments aux morts. » Seuls ceux qui célébraient trop ostensiblement la victoire française passée (comme un coq ou un Poilu écrasant l’aigle impérial) ont été dynamités.
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Signature de l’armistice le 22 juin 1940, avec à gauche le général allemand Wilhelm Keitel et à droite la délégation française menée par le général Charles Huntziger (au centre). Crédits : Bundesarchiv, Bild 146-1982-089-18 / CC-BY-SA 3.0.
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Le wagon des deux armistices, lui, est envoyé en Allemagne comme trophée de guerre, ainsi que les monuments présents dans la clairière. Exposé devant la porte de Brandebourg puis dans un parc du centre de Berlin, il est évacué en 1944 en Thuringe, dans le centre du pays. C’est là qu’il a brûlé en 1945, dans l’incendie accidentel de la gare où il se trouvait.
« Il n’était plus gardé, des enfants jouaient à l’intérieur », relate Dominique Valembois. « Des habitants du village avaient d’ailleurs récupéré les lettres de bronze « Compagnie internationale des wagons-lits » », ajoute Jean-Yves Bonnard. « Tout le bois a brûlé, mais comme il restait la structure métallique, il a servi après-guerre pour du transport de grumes. »
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DÈS 1944, LES FRANÇAIS « EFFACENT » LA DÉFAITE DE 1940
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En France, une fois Compiègne libérée le 1er septembre 1944, les Français se réapproprient la clairière. Deux cérémonies sont organisées les 1er et 11 novembre suivants : « La volonté était d’effacer la défaite de 1940 », poursuit le professeur, « avec allumage de flambeaux par des scouts comme pour « purifier » le site ».
Reboisée, la clairière de l’Armistice n’existait plus vraiment. « Ce qui suit est donc une construction, un aménagement de tourisme de mémoire, de mémoire vive », analyse Jean-Yves Bonnard. « Ce n’est pas une initiative d’État, mais une initiative locale, soutenue par la presse et les anciens combattants du secteur. »
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Le « wagon de l’Armistice » aujourd’hui. Crédits : Association du Mémorial de l’Armistice.
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Le wagon disparu en Allemagne, le n° 2419 D, est remplacé par un autre wagon-restaurant de la série livrée en 1914, le n° 2439 D. Aménagé comme celui de l’Armistice, il constitue la pièce maîtresse du Mémorial. Dans la nouvelle muséographie inaugurée en 2018, trois salles sont consacrées à l’armistice de 1918, puis d’autres à l’entre-deux-guerres, et une à l’armistice de 1940. Deux armistices que tout oppose, sauf l’endroit où ils ont été signés.
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